Les phares français et les grands hommes.


De tout temps, les navigateurs ont été confrontés au même problème, l'approche nocturne des côtes.
De jour, ils avaient des points de repères connus (les amers) mais de nuit, ils devaient s'écarter des côtes au risque de faire naufrage.
Aux environs des ports, des bûchers étaient allumés lors de l'arrivée prévue d'un navire. A la fin du 17° siècle, Colbert et Vauban ont eu l'idée d'un programme d'éclairage des côtes.
Ce programme était surtout destiné aux ports militaires. Seul le phare de Cordouan balisait la côte Atlantique. C'est ainsi que fut décidée la construction des phares des Baleines et de Chassiron.

Ce n'est qu'au 19° siècle, qu'un vaste programme est mis sur pied, le " programme de 1825 ".
L'idée était de "repousser les limites de la nuit".

Ce programme ambitieux a été possible grâce à la détermination et les compétances de quatre hommes : Beautemps-Beaupré, Léonce Reynaud, Augustin Fresnel et Léon Bourdelles. Chacun, dans son domaine, a su donner des réponses aux problèmes auxquels il a fallu faire face pour aboutir à ce projet.


Beautemps-Beaupré (1766 - 1854)

Le premier défi de ce projet a été de définir les points d’implantation des éclairages.
Pour cela, il a été fait appel au service hydrographique. Les ingénieurs doivent réaliser de nouvelles cartes des côtes et des ports.
Ce travail est demandé à Beautemps-Beaupré et à ses ingénieurs.

Beautemps- Beaupré est né le 6 août 1766 à La Neuville-au-Pont. Il commence sa carrière au dépôt de la Marine en 1783.
Doué en hydrographie, il passe ingénieur en 1785. Il réalise de nombreux voyages durant lesquels il fait le relevé des côtes des pays visités.
On note les côtes orientales de la mer Adriatique, les côtes de Hollande et d’Allemagne, les côtes de Dunkerque.
Il est nommé ingénieur hydrographe en chef en 1814. De 1814 à 1838, il réalise de nouvelles cartes des côtes de la France.
Ce travail ne contient pas moins de 150 cartes et plans. Sans oublier les 184 tableaux des hautes et basses marées.
Il a été décoré à de nombreuses reprises. Il a également été élevé grand officier de la Légion d’honneur.
Il décède le 16 mars 1854 à Paris.

Le programme de 1825 s’est appuyé sur les relevés de Beautemps-Beaupré. Ils ont permis d’organiser la signalisation des côtes françaises en construisant 51 phares dont 28 de premier ordre, 5 de second ordre, 18 de troisième ordre et un complément de 40 feux de port.


Léonce Reynaud (1803-1880).

Une fois l’implantation des phares approuvé, il faut les construire.
Des plans réalisés par des architectes locaux sont proposés. Le plus gros du travail a reposé sur les épaules de Léonce Raynaud.

Léonce Raynaud est né en 1803 à Lyon.
Il s’intéresse à l’architecture et il rentre en 1821 à l’Ecole polytechnique. Il en sera exclu après un an.
Il continue ses études à l’Ecole des ponts et chaussée.

Le tournant de sa carrière se situe en 1833. Il rencontre Léonor Fresnel, secrétaire de la commission des phares, et il devient son assistant.
Pour une première mission, il hérite d’un chantier très compliqué, le phare des Héaux de Bréhat. Il s’inspire des phares d’Eddystone et Bell Rock. Il inspectera le chantier et en sera responsable.
Pour ce travail, il est nommé ingénieur des Ponts et Chaussée.

Il succède à Léonor Fresnel en 1846. Fonction qu’il conservera jusqu’en 1878.

Il décède en 1880 à Paris.

Durant sa carrière à la commission des phares, il aura en charge la réalisation et la supervision de plus de 130 phares.
Parmi ces phares, on note le phare de Calais, le cap Fréhel, les Baleines, les phares métalliques des Roches Douvres et Amédée, Armen (il n’en verra pas la fin des travaux) et des plus petits comme Carteret et Chausey (mêmes plans).

Son travail ne se limite pas à l’architecture. Il s’occupe aussi de la partie éclairage. Il change l’huile de colza par de l’huile minérale et participe aussi au début de l’éclairage électrique.


Augustin Fresnel (1788 -1827 ).

Ces constructions n'auraient servi à rien s'il n'y avait pas eu un bon éclairage.
Au départ, on brûlait du charbon puis on est passé aux huiles minérales et végétales. La portée restait réduite. La clé de voute du projet a été Augustin Fresnel, puis son frère Léonor.

Augustin Fresnel est né le 10 mai 1788 à Broglie.
Il entre à 16 ans à l’Ecole polytechnique. Il en sort brillamment pour rentrer à l’Ecole des Ponts en Chaussées.

Avec son diplôme d’ingénieur, il parcourt différentes régions. Il rédige plusieurs mémoires sur ses études de la lumière, de la diffraction et de l’optique. Ce qui lui vaut un prix de l’Académie des Sciences.
En 1819, François Arago le fait entrer dans la commission des phares.

En 8 ans, il va mettre en applications ses découvertes à l’éclairage des phares.
De santé précaire, il décède près de Paris le 27 juin 1827.
Son frère Léonor continuera son travail.

François Arago a dit de lui : « il est des hommes à qui l’on succède et que personne ne remplace ».

Fresnel a mis au point un système de lentille qui porte son nom.
Ce système permet de concentrer la lumière pour en augmenter la puissance ce qui entrainera une augmentation de la portée.

De plus, il a réalisé les feux tournants. Il s'agit d'effectuer une rotation temporisée des optiques.
Chaque phare sera ainsi reconnaissable par la fréquence de ses éclats. L’optique est fixée sur un chariot. Celui-ci est disposé sur des galets et actionné par un système à contre poids.

Les lentilles de Fresnel sont mondialement connues et occupent encore de nombreux phares aujourd’hui.
Une explication technique est donnée sur cette page.


Léon Bourdelles (1838 - 1899).

Léon Bourdelle est le moins connu des quatre. Il aura pourtant contribué à continuer le travail entrepris jusqu’alors.
Il n’a pas connu Augustin Fresnel.

Léon Bourdelle est né à Périgueux le 7 avril 1838.
Après ses études à l’Ecole polytechnique, il est engagé aux ponts et chaussée puis au service maritime civil.

Il s’occupe du balisage des côtes Morbihannaises.
Il se fait remarquer dans sa gestion du phare des Grands Cardinaux. Sa réalisation se fait dans les temps et dans les budgets. Fait rare.
Il est nommé en 1893 directeur du service des phares et balises.

Il décède le 19 septembre 1899.

La fin du XIX° siècle a été assez chargée en travaux d’amélioration des phares.
Il aura contribué à la mise en place des cuves à mercure et son adaptation pour des rotations rapides, le passage au gaz de pétrole.
Il aurait été injuste de l’oublier dans cette liste de grands hommes.


Suite de l'histoire ...


Les optiques sont placées sur une cuve à bain de mercure. Cela réduit considérablement les frottements.
L’électricité est l’avancée attendue dés 1863. Les tests sont effectués au phare de la Hève.

Les budgets vont manquer et la construction sera échelonnée jusqu'en 1880.

Ce programme sera complété par la construction d'une vingtaine de phares en mer (entre 1855 et 1916), réalisation plus difficile. Je ne citerai qu'un exemple, celui d'Armen qui a duré 14 ans.
D'autres phares seront construits plus tard pour compléter le balisage.

A la fin de la seconde guerre mondiale, de nombreux phares seront détruits ou fortement endommagés. Ils seront tous reconstruits.

Depuis la fin du XX° siècle, la presque totalité des phares sont automatisés. Cela a permis de réduire les frais.
Mais cela a également été le début de la lente dégradation de ceux-ci. Les gardiens n'étant plus présents, les réparations sur l'édifice ne seront plus effectuées régulièrement. Seul l'entretien de la partie optique sera maintenu. Un gardien de phare à la retraite a dit : "Un phare automatisé est un phare mort".

De nombreuses améliorations ont été apportées ces dernières années comme les diodes électroluminescentes (réduction de la puissance consommée, réduction de la portée dans bon nombre de cas et une durée de vie très longue), les éoliennes seront remplacées par des panneaux solaires.

Les phares de premier ordre ont leur utilité remise en question depuis l'utilisation du GPS.

Les phares accessibles sont confiés à des collectivités locales ou des entreprises privées. Ils ont pour mission d’entretenir le site et d'organiser les visites au public.

Quant aux phares en mer (donc non accessibles), personne ne voudra investir dans l'entretien car cela ne serait pas rentable. La seule solution est de les classer monuments historiques.