Les systèmes d'entraînement des optiques.


Les deux grandes révolutions dans le balisage des côtes sont réalisées par Augustin Fresnel et par le "Programme de 1825". Ces deux révolutions vont fortement sécuriser la navigation.

Augustin Fresnel, avec le développement des lentilles à échelons, permet d'augmenter la portée des feux. Il installe son premier projet au phare de Cordouan en juillet 1823.

Le "Programme de 1825" organise la signalisation des côtes françaises par la construction de 51 phares dont 28 de premier ordre, 5 de second ordre, 18 de troisième ordre et un complément de 40 feux de port.

Dans les phares, on trouve le plus souvent 2 types de lentilles : les fixes et les clignotantes. Ces dernières sont les plus efficaces et font l'objet du travail de Fresnel. Mais pour lui, il reste encore un souci à résoudre, comment faire tourner ces optiques ?

Avec un feu tournant, le naviguateur voit un éclair et une période d'obscurité. Pour que le phare soit identifiable, il faut que ces périodes soient différentes d'un phare à l'autre.

Le problème est posé.


Le chariot et les roulements.


La première idée a été de mettre ces optiques sur chariot.
Les roues, qui agissaient comme un roulement à rouleaux, avaient un diamètre d'environ 12 cm ce qui permettait de supporter le poids de l'optique.


Chariot à roulements pour l'entrainement de l'optique du phare de Boston.

A cause des frottements, ce système ne permettait que des vitesses de rotation lentes. Cela avait pour conséquences un flash et une période d'obscurité trop longue. Les tests donnaient un tour en 8 minutes.

La première solution envisagée a été d'augmenter le nombre de panneaux et la vitesse de rotation.
Avec 24 panneaux et un système d'entraînement renforcé, Fresnel est arrivé à un éclair de 5 secondes toutes les 15 secondes. Mais ce système a vite montré ses limites, trop de frottements et trop d'usure.

Les anglais ont amélioré l'ensemble en remplaçant les roues en bronze par de l'acier et la rotation se fait sur une piste également en acier. Des galets de centrage ont également été ajoutés. Ce système est acceptable jusqu'à une vitesse d'un tour par minute et pour des optiques du 3° ordre.

Les ingénieurs américains ont cherchés une solution pour réduire les frais de fabrication et d'entretien ainsi que pour augmenter la vitesse. Ils ont redessiné l'ensemble en y mettant des roulements à billes et en changeant l'entraînement. Ce système a été efficace pour des lentilles jusqu'au 3° ordre. La vitesse obtenue a été d'un tour en 20 seconde.


La cuve à mercure.


Ce problème continue de tracasser Fresnel et, en 1825, il pense au bain de mercure. Il écrit : "Je propose de faire flotter nos dispositifs rotatifs, de premier ordre, dans un bain de mercure, au lieu de les placer sur des rouleaux. Ce projet ne présentera pas de difficultés. Néanmoins, comme je l'ai pas mis en exécution, je ne vais pas vous obliger à l'adopter pour votre premier phare".
Il ne mettra pas son idée en pratique, il décède en juillet 1827. Le procédé est mis au point par Arthur Meurs, service des Phares et Balises, en 1889 avec la collaboration de la société F. Barbier et C°.
Le système est le suivant. On place une petite quantité de mercure dans une cuvette circulaire en forme de U. Un anneau est déposé sur le bain de mercure. Sur cet anneau est fixé un plateau qui supporte l'optique. Cet anneau flotte sur le mercure.

Le schéma ci dessus montre une vue en coupe du système. On voit la cuve (en gris) avec le mercure (en bleu). Le flotteur baigne sur le mercure et supporte l'optique. Le plateau est entrainé par un moteur via sa roue dentée.
Ce système de flottaison fournit une friction quasi nulle. Une optique de plusieurs tonnes peut être mise en rotation à 'aide d'un doigt. La quantité de mercure va dépendre du poids de l'optique. La plus grande cuve doit être celle du Créac'h. Elle contient 60 litres de mercure pour supporter 4 optiques de 3 m de diamètre soit un poids de 10 tonnes.

Cela a comme avantages de pouvoir augmenter la taille des optiques, le nombre de panneaux et la vitesse de rotation.

Ci contre, la première cuve à mercure a été installée à La Teignouse en 1892 puis au Cap de la Hève en 1893. Les autres phares à optique tournante en seront équipés au fur et à mesure.


Les inconvénients et l'avenir.


Le mercure est le seul métal liquide à température ambiante. Il présente deux types de danger pour la santé.
A partir de 20°C, il émet de vapeurs toxiques. Son inhalation peut provoquer des problèmes respiratoires et des troubles digestifs. A fortes concentrations dans l'air et lors d'une longue exposition, les vapeurs peuvent occasionner des lésions cérébrales, rénales, cardiaques et pulmonaires.
Une infection cutanée provoque l'inflammation de plaies si ceux si ne sont pas nettoyées rapidement. Un passage intraveineux est possible et peut provoquer une embolie artérielle.
Qu'en est il dans les phares ?

Les 20° C sont souvent atteints et dépassés. Lors des entretiens journaliers, les gardiens aéraient la lanterne et les vapeurs étaient éliminées.
Lors de tempêtes, les vibrations dans le bâtiment provoquent un débordement de la cuve. Ces petites billes étaient récoltées dans un récipient.
Ces cuves demandent un entretien tout les 5 ans. Des poussières et des particules métalliques s'accumulent dans le bain et freinent la rotation de l'optique. Il est alors nécessaire de vider la cuve et filtrer le mercure. Dans ce cas, des procédures strictes sont mises en place et elles doivent être respectées à la lettre.
Plus de gardiens .... que se passe t il maintenant ?

Si on prend le cas des phares en mer comme la Jument et Armen, ils sont fort exposés aux vents violents et à l'assaut d'une mer alors déchaînée. Durant une tempête avec des vents pouvant atteindre les 200 km/h, la cuve de la Jument déborde et l'on retrouve du mercure 3 niveaux plus bas que la lanterne. Le niveau de vapeur mesuré après une tempête est de 3,5 x la moyenne tolérée. La décontamination est délicate, le mercure se répand en petites gouttelettes et va se loger partout. Ce travail ne peut se faire que par des équipes spécialisées.


Gouttelettes de mercure après une tempête ( ici, la Jument ).

L'avenir dans ce domaine est sûrement la suppression du mercure. Pour cela, deux solutions peuvent être envisagées suivant le type d'optique.
L'optique est remplacée par des Led et sa cuve est vidée. C'est la solution qui a été adoptée pour la Jument. Dans ce cas, la portée du feu a été réduite à 10 miles.
L'autre solution est le placement de la cuve par des roulements performants.
C'est deux solutions ont été appliquées au Danemark, premier pays européen à avoir supprimé le mercure de ses phares.


Exemples divers



Optique double, 4 panneaux, du phare de La Canche au dessus de sa cuve à mercure.


Optique double du phare d'Eckmuhl


et son entrainement.


Références.


Cetmef - Signalisation maritime - Documentation technique.
Phares, les dangers du mercure - Travail et sécurité 12-06.
U.S. Lighthouse Society.